Deviens ce que tu es…

… quand tu l’auras appris.

Retour en Alaska. Dernier tour de roues. Pour dire au revoir. Dire merci, aux personnes croisées, à Béatrice pour ses dessins, à mon ours… « Et puis… et puis y a Frida, qui est belle comme un soleil, et qui m’aime pareil, que moi j’aime Frida, même qu’on se dit souvent… »

D’après google maps, j’ai parcouru 3000km, à quelques kilomètres près. Environs 25000 mètres de dénivelé positif. Avec une Frida pesée sans bagage à 34 pounds (15,5kg) et 83 (38kg) avec, mais sans eau et sans nourriture. Soit parfois quelques 15 à 20 kg à ajouter. La performance pour moi était essentiellement de sortir du schéma des chiffres, d’écouter mon corps et ses vieilles blessures, de le contraindre à l’effort mais lui laisser le dernier mot. L’apprivoiser de nouveau, l’encourager, l’apporter là où il n’aurait jamais cru pouvoir revenir. Et finalement lui montrer qu’il est plus fort que toutes ces cicatrices d’un passé de combat entre moi et moi.

On m’a dit que j’avais été courageux de tenir bon, malgré la faim, les moustiques, les douleurs, de reprendre la route alors que mes escales m’offrait tout le confort matériel et affectif que je pouvais espérer. Deux heures le matin à cuisiner, plier, sécher, ranger, huit à rouler, trois le soir à préparer le campement, le repas, les journées sont longues. Longues mais faciles, je n’ai qu’à penser au besoin primaire que je dois satisfaire dans le présent ou un futur très proche. Les questions sont simples, leur réponse binaire et la plupart du temps invariable: « Ai-je faim? Oui », « Suis-je fatigué? Oui », « Ai-je assez roulé? Non », « Est-ce que je m’arrête quand même pour passer la nuit? Oui (si l’endroit éveille quelque chose dans mon imaginaire) ». Cette vie faite de contraintes physiques permanentes me repose l’esprit, je peux laisser mon instinct animal reprendre le contrôle. Je suis efficace, mon mental ne flanche jamais, je parviens à trouver du comique et de la joie en toute nouvelle contrainte extérieure qui se présente, le froid, la pluie. Les seules contraintes qui peuvent me faire fléchir sont celles apportées par mon corps. Et puis… je suis chaque minute récompensé par le paysage qui m’entoure, et la joie indescriptible de sentir cette force animale qui me fait avancer. La seule chose pour laquelle il m’aura fallu un peu de volonté, c’est pour écrire tout ça. Alors, courageux? Je ne sais pas, je crois que le courage est de parvenir à trouver les ressources psychologiques pour se sortir des situations qu’on ne maîtrise pas en suivant cette voix intérieure que notre mental étouffe…

Si j’ai compris une chose sur moi, c’est ce besoin d’écrire MON histoire, de l’improviser. Cette histoire à tracer qui m’a mené pour mon premier voyage à vélo (et mon premier voyage tout simplement) tout au nord de l’Alaska, sur une piste de gravier et de boue au milieu d’un enfer de moustiques, sans calcul, juste parce que cela me faisait rêver. Celle qui me fait poursuivre mon chemin au-delà des barrières qui définissent les chemins tracés pour nous…

Retour...

Retour…

Retour...

Retour…

... à la vie normale

… à la vie normale

Aurorevoir

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